Les questions autour de la neutralité de l’Internet, ca n’est pas le débat clivant dans lequel des (pseudo) experts veulent nous entrainer. Ca n’est pas d’un coté les gentils et de l’autre les méchants. D’un coté le vrai et l’autre le faux. D’un coté l’accès pas cher à tout et de l’autre, celui très cher, à rien.
Comme souvent, on manipule l’émotion en simplifiant les chose de façon binaire pour éviter l’effort de la dualité qui permet l’équilibre et la nuance.
L’Internet est par définition “neutre”. On disait même à l’époque: “If it’s not open, it’s not The Internet”. Les esprits chagrins me diront que l’on disait aussi: “Internet: pas de loi, pas de gouvernement, pas de frontières …”. Et oui, tout à fait !
En fait, ce que certains entendent faire de l’Internet et les débats autour de la neutralité, ça n’est pas la catastrophe annoncée, mais d’un autre côté, c’est pire et … ça sent pire.
Oui, il y a un vrai sujet
Et Henri Verdier dans ce post le décrit très bien.
Saucissonner l’internet pour en tirer plus de profits à court terme est une idée Canada Dry, celle qui a la couleur, l’odeur … celle qui ressemble à une bonne idée mais qui n’en est pas. C’est une idée court-termiste et “facile” qui ne résout par un problème structurel de long terme. Pire encore, cela dégrade, déforme, transforme le produit et le service et créera fatalement plus de problème que l’on aurait pu éviter par une meilleure culture et inspiration et confiance dans l’avenir. Mais telle un serpent de mer, c’est une idée ancienne, que l’on voit resurgir régulièrement. On ne sait jamais, ça peut marcher. Sur un malentendu, cela peut passer. Prétexte de pénurie, de capacités technologiques prétenduement finies, de moyens insuffisants, tout est bon.
A continuer comme cela, on risque fort d’avoir des accès de qualité différente pour différentes destinations et pire encore, d’avoir des accès bundlés où l’on peut accéder en illimité à des offres couplées de partenaires (contenu / service / Internet) tandis que le reste est de mauvaise qualité en terme de débit. Belle distorsion de la concurrence.
Mais à bien y penser, n’est-ce pas déjà le cas aujourd’hui ?
C’est inutilement dangereux
Je ne le redirais jamais assez: le business model d’un opérateur d’infrastructure n’est pas le même que celui d’un opérateur de services ou de contenu. Si l’opérateur d’infrastructure n’a pas assez de moyens pour équilibrer financer son réseau *jusqu’à son client* c’est que son service n’est pas assez cher et que les utilisateurs doivent payer le juste prix. Il y a 25 ans, je disais: “You pay for the bandwith you have”, en réponse à ceux qui pensaient que la qualité d’un accès Internet ne coûtait pas grand chose. Ca n’est pas en regardant le champ qui semble plus vert chez son voisin que l’on règle un problème chronique. De plus, dire que les grands acteurs de l’Internet ne financent pas ce qu’ils devraient est totalement faux.
Hier, c’était vrai. Les acteurs aux Etats-Unis considéraient que c’était à nous Européens de faire l’effort de venir, si nous voulions nous raccorder. Nous supportions tous les coûts et même nous devions payer, en plus, pour accéder à certains réseaux. (transit) Tandis qu’eux, bien sûr, ils pouvaient par symétrie bénéficier gratuitement de nos investissements. Mais c’était une époque où nous étions plus consommateurs que producteurs. Nous n’avions pas grand chose à échanger … en tous les cas, les matrices de trafic étaient clairement en leur faveur.
Ensuite la plupart de ces acteurs ont fait l’effort de venir en Europe. (je parle des opérateurs Internet). Et les opérateurs de services ont suivi. Google, Facebook Amazon, Netflix et tant d’autres payent des infrastructures pour aller jusqu’au plus près possible de leurs utilisateurs. Ils offrent tous un moyen de peering, qui est la bonne façon de faire.
C’était mieux avant ?
Pas vraiment !
D’abord ce sont les réseaux universitaires financés par des fonds publics qui ne voulaient pouvaient pas s’ouvrir à d’autres. Puis on a assisté à une lente érosion de la notion d’illimité, que nous avions eu beaucoup de mal à imposer dans l’Internet et qui n’allait pas de soi. On l’oublie car peu l’ont connu, mais 1.000 caractères de mails vers les Etats-Unis coutaient 1,30 Francs HT, dans les années 90 avec le réseau Fnet. Oléane (hors Renater et Phynet) a été le premier fournisseur d’accès Internet à prendre le risque de l’illimité … en n’étant pas backé par des fonds publics et de lourdes subventions. Aujourd’hui, nous avons des offres illimitées limitées. Pas encore en France (en fixe), mais ces offres sont monnaie courante aux Etats-Unis. Vous avez le droit à un certain nombre de Go par mois et ensuite votre vitesse est réduite, jusqu’au mois suivant ou jusqu’à ce que vous payiez plus, par exemple 10 $ / Go.
Et oui, un Internet a plusieurs vitesses est possible et même souhaitable
Ce débat semble passionner les foules (en fait, pas vraiment car on créée de l’émotion artificielle en détournant du bon endroit le regard) et il est dit souvent n’importe quoi.
Oui, un Internet a plusieurs vitesses peut exister sans atteinte à la neutralité de l’Internet car il peut ne pas mal-traiter certains services et bien faire son travail.
Le métier d’un opérateur Internet et même d’un fournisseur d’accès à l’Internet devrait être, en tout temps et en tous lieux, de: “faire de son mieux pour qu’un paquet qui entre sur son réseau en resorte le plus vite possible.”
Ce n’est pas le métier des vrais architectes Internet d’altérer, de ralentir les paquets IP.
Oui tous les besoins ne sont pas les mêmes. A titre personnel, je peux me contenter d’une certaine qualité de mon accès Internet. A titre professionnel, j’ai besoin d’autre chose, tant en termes de débit, de disponibilité, de possibilités de transits et de peerings de mes fournisseurs … et je comprends que cela coûte plus cher. J’ai aussi besoin d’un service différent et de garanties de temps de rétablissement différentes.
Mais il y a bien pire et beaucoup plus sournois
Et de cela, nous sommes très peu nombreux à le mentionner et à alerter !
Non, la neutralité de l’Internet, ça n’est pas qu’un sujet d’accès à des services des grands de l’Internet, comme on voudrait nous le faire croire.
*** Le vrai sujet de la neutralité de l’Internet, c’est la permissionless innovation : la possibilité d’innover, mais plus encore, la possibilité d’exister, de créer, dans un univers numérique sans demander la permission a quiconque. Univers qui ne serait pas réduit et contingenté par quelques uns. ***
Aujourd’hui, pouvons-nous encore héberger des services vidéo chez nous avec des accès asymétriques à faible débit ? Pouvons-nous encore créer les services et les usages que nous voulons demain dans un univers de plus en plus filtré, “pour notre sécurité” ?
A trop débattre de “nos datas”, on en oublie que l’on confie les clefs de notre vie numérique à d’autres et que pire … bientôt, nous ne pourrons peut-être même plus créer les services qui auraient pu nous libérer de leur emprise.
Derrière le sujet de la neutralité de l’Internet, il y a la définition de l’Internet et notre capacité à prendre part à une nouvelle dimension de notre monde, comme un acteur, comme un créateur et non comme un con-sommateur.
Serons-nous demain obligés de nous héberger chez Youtube pour nos vidéos, chez Amazon pour notre commerce, chez Facebook pour nos avis, nos humeurs, nos relations avec autrui ? Regardez déjà comment nous avons détruit notre capacité d’attention entre :
- le livre
- l’audio
- la video
- le web
- le blog
- les flux RSS
- Twitter et ces
140280 caractères
Le camarade Bayart disait que “l’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire” … oui, mais qui lit encore ce que nous écrivons, nous qui n’avons pas l’audience permise par quelques media ? Avez-vous remarqué le nombre de followers du moindre animateur audio-visuel ou pseudo humoriste ? et avez-vous
comparé avec certains vrais penseurs de notre société, des êtres rares et essentiels ? N’y a t’il pas un problème de dissymétrie évidente ? l’Internet est neutre car il permet cette émergence, mais le système ne l’est pas car il donne une capacité de résonnance inversement promotionnelle à celle d’utilité … et de raison.
Voyons combien de personnes vont lire cet article … et voyons qui pose le débat de la Neutralité en des termes essentiels pour l’avenir de l’Internet et du pourquoi nous nous sommes battus pour son émergence. Sachez que ceux qui défende la neutralité aujourd’hui, les grands acteurs, ont tous les moyens de faire sans. Ils ne sont pas fous et ont très bien compris leur intérêt à conserver un Internet neutre. Mais ils peuvent faire sans. Pas nous.
Et ne pensez pas que je défends un intérêt professionnel … à ce titre, j’ai les moyens de faire sans neutralité car nous avons une véritable infrastructure indépendante d’un acteur / opérateur précis. Nous sommes nous-même notre propre opérateur Internet. Maintenant au-delà de ma petite personne, il y a un combat d’une vie, il y a l’avenir pour nos enfants, pour notre pays aussi. Plus nous saurons tirer parti de ce qui se passe mal ailleurs, plus nous serons forts. Une mauvaise idée de l’Internet par certains peut être une chance, une opportunité pour nous. L’Internet est à la fois porteur du problème, mais de sa solution. C’est nous, c’est vous qui choisissez et qui pouvez privilégier ceux qui jouent le jeu et non ceux qui vous prennent en otage.L’important est que nous puissions toujours avoir le choix !
Parce qu’à la fin, quoi qu’ils fassent, l’Internet est irréversible et il gagnera toujours. Je parle d’un esprit User Centric et des technologies et services qui s’ensuivent. Mais en attendant, cela ne fait que ralentir le progrès et nous géner plus que sérieusement.
Il est vrai, qu’il faudrait une petite release à la pensée de l’ami Bayart qui disait que “l’imprimerie a permis au peuple de lire, Internet va lui permettre d’écrire” …
Gutemberg a en effet fourni de nombreux lecteurs a peu d’écrivains, aujourd’hui, nous avons des milliards “d’écrivains”, lus par personne ou presque… Qui plus est, la lecture se meurt tant les gens ne sont plus capable de concentration au delà des 140 caractères d’un SMS (ou Twitter 1.0)…
En fait, on est tombé dans la civilisation des gros titres… et tout concept qui ne rentre pas dans un gros titre est voué à une mort certaine…
Heureusement E°=MC2 tient encore dans 140 caractères.. et la démonstration, tout le monde s’en fout 🙂